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Covid19 : Mesures pour prévenir les faillites

Dans la ligne de ce qu’il avait annoncé il y a quelques jours, le Conseil fédéral a communiqué le 16 avril dernier, différentes mesures propres à repousser et atténuer les conséquences de l’insolvabilité en raison de la crise du Coronavirus. Nous pouvons ici saluer sa rapidité et son esprit pratique.

Ces mesures se concrétisent au travers de son Ordonnance du 16 avril 2020 (Ordonnance insolvabilité COVID-19), que nous appellerons ici « l’Ordonnance », dont l’entrée en vigueur est intervenue le 20 avril 2020 à minuit pour une durée de validité maximum de 6 mois. Espérons que cette durée n’aura pas à être prolongée au regard des circonstances. Le cas échéant, une nouvelle ordonnance, ou une autre disposition légale, devrait être promulguée.

En substance, cette ordonnance traite des trois principaux sujets suivants :

  1. Adaptation des dispositions du code des obligations (CO) en matière d’avis de surendettement (soustraction de l’exigence d’annoncer le surendettement à des conditions bien définies)

  2. Adaptation des dispositions de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) en matière du droit du concordat (notamment prolongation de la durée du sursis provisoire)

  3. Instauration d’un sursis extraordinaire dit « Sursis COVID-19 » (trêve en faveur du débiteur pour une période maximale de 3 mois, prolongeable de 3 mois au plus).

Passons brièvement en revue et commentons succinctement ces trois domaines.

1. Adaptation en matière d’avis de surendettement

A teneur de l’art. 725 al 2 CO (perte de capital et surendettement), que tous les organes dirigeants et autres réviseurs sont censés connaitre et appliquer, s’il existe des raisons sérieuses d’admettre que la société est surendettée, un bilan intermédiaire est dressé et soumis à la vérification d’un réviseur agréé. Et le même alinéa de prévoir, de manière sommairement résumée, que s’il résulte de ce bilan que les dettes sociales de la société ne sont couvertes ni lorsque les biens sont estimés à leur valeur d’exploitation, ni lorsqu’ils le sont à leur valeur de liquidation, le conseil d’administration en avise le juge, sous réserve de postpositions des créanciers.

Cette obligation demeure inchangée dans les limites de l’art 1 de l’Ordonnance. Il est toujours nécessaire en effet de dresser le bilan intermédiaire si les conditions de l’art 725 al 2 CO sont réunies. En revanche, dans le cas d’une absence de couverture des dettes sociales dans le sens ci-dessus, le conseil d’administration n’a alors plus l’obligation d’aviser le juge si le surendettement a été constaté après le 31 décembre 2019. Mais aux conditions cumulatives suivantes, afin de tenir compte des intérêts des créanciers et pour que seules les sociétés dont on a l’espoir qu’elles se rétablissent puissent s’en prévaloir :

  • La société ne doit pas avoir été déjà surendettée le 31 décembre 2019. Dans le cas contraire, cela ne pourrait être qu’un emplâtre sur une jambe de bois. On a choisi cette date car elle correspond majoritairement au dernier jour du bilan. Et donc les sociétés pourront œuvrer sur la base de leur bilan 2019. Ce qui signifie que les sociétés déjà surendettées sont exclues du champ d’application de l’Ordonnance.

    Il en est de même des sociétés qui ne sont pas en mesure, notamment pour défaut de tenue de comptabilité, ou de tenue partielle, de prouver cette absence de surendettement. Il est donc indispensable pour celles-ci que leur comptabilité soit tenue correctement et en temps et heure…

  • Il doit exister une perspective de voir le surendettement de la société prendre fin avant le 31 décembre 2020. Dans ce cas, le conseil d’administration doit pleinement remplir une de ses missions en présentant une appréciation de situation objective et crédible. De surcroît, elle doit être sérieusement documentée (art.1 al 2 de l’Ordonnance), notamment au travers des procès-verbaux des séances et délibérations du conseil, et des plans de liquidités. La fixation de la date du 31 décembre 2020 n’est pas le fruit du hasard puisqu’elle correspond évidemment à la fin d’un nouvel exercice comptable 1 an après le 31 décembre 2019….

Par souci d’économie et de rapidité en ces temps difficiles, le bilan intermédiaire qui sera dressé (cf supra) n’aura alors pas besoin d’être audité. Mais il peut l’être. C’est une nouvelle dérogation à l’article 725 al 2 CO tel que rappelé ci-dessus.

Un autre élément qui va donner un peu d’air aux réviseurs : Ils sont désormais dispensés de leur obligation d’annonce au juge, à l’instar du conseil d’administration dans le sens de l’article 1 de l’Ordonnance. Rappelons qu’en temps normal, le réviseur a l’obligation de faire une telle annonce si le conseil d’administration s’en abstient.

Notons enfin que cette mesure s’applique par analogie à toutes les formes juridiques pour lesquelles la loi prévoit un avis obligatoire en cas de perte de capital et de surendettement, comme par exemple les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés coopératives et les fondations.

2. Adaptation du droit du concordat (mesures principales)

L’article 293 LP prévoit, notamment, que la procédure concordataire est introduite par le débiteur, accompagnée notamment par un bilan à jour, un compte de résultats et un plan de trésorerie ainsi qu’un plan d’assainissement. En l’état, l’article 3 de l’Ordonnance dispense le débiteur de fournir un tel plan, à tout le moins au moment du dépôt de sa demande de sursis (il viendra après). Il s’agit là d’une mesure tendant à alléger la tâche du juge dans le cadre de son examen préalable, le Conseil fédéral ayant probablement anticipé une certaine augmentation des requêtes en sursis ces prochains mois…..et suite logique, il a rendu inapplicable l’article 293a al 3 LP qui stipule que le juge du concordat prononce d’office la faillite si aucune perspective crédible d’assainissement est produite.

La durée du sursis provisoire, qui peut ensuite conduire à un sursis définitif puis à un concordat, était jusqu’à l’entrée en vigueur de l’Ordonnance de 4 mois. L’Ordonnance vient de la porter à 6 mois au maximum, toujours dans le but de donner une bouffée supplémentaire d’oxygène au débiteur.

3. Naissance du sursis COVID-19

C’est donc le nouveau venu, imposé par les circonstances que nous connaissons, dans la famille du sursis concordataire. C’est ainsi que l’article 6 de l’Ordonnance précise que tout débiteur dont la forme juridique est celle de l’entreprise individuelle, la société de personnes ou la personne morale, à l’exception donc des particuliers, peut requérir du juge du concordat un sursis limité à 3 mois au plus, prolongeable de 3 mois au maximum, s’il n’était pas surendetté le 31 décembre 2019 ou que des créances à hauteur du surendettement ont été postposées conformément à l’article 725, al 2 CO mentionné ci-dessus au chiffre 1.

Il s’est agi pour le Conseil fédéral de proposer une procédure simple et rapide, davantage encore que le sursis provisoire, accessible au plus grand nombre. Le but est que le débiteur puisse bénéficier durant la période limitée de ce sursis d’un « temps mort », suite aux événements que nous connaissons, d’où le nom peu enviable mais explicite que celui-ci doit porter. Ceci doit permettre au débiteur de se réorganiser et de rebondir. Et il se trouve ainsi le cas échéant considéré ipso facto comme ayant rempli ses obligations d’annoncer son surendettement.

Les sociétés ouvertes au public au sens de l’art 727 al 1 chiffre 1 CO (notamment qui ont des titres de participations cotés en bourse ou qui sont débitrices d’un emprunt par obligations) et les grandes entreprises selon le chiffre 2 de cette même disposition (notamment qui au cours de deux exercices successifs, dépassent deux des valeurs suivantes, soit total du bilan CHF 20 mios, chiffre d’affaires CHF 40 mios, effectif de 250 emplois à plein temps en moyenne annuelle) ne peuvent pas bénéficier de cette mesure.

Etant donné leur importance économique, le Conseil fédéral a estimé qu’elles devaient être soumises au contrôle plus strict de la procédure concordataire normale, à laquelle elles peuvent évidemment faire appel. En revanche, le sursis COVID-19 veut cibler les entités plus modestes mentionnées ci-dessus, qu’elles soient inscrites ou nom au registre du commerce d’ailleurs, afin d’éviter si faire se peut les ravages de faillites en cascade.

Afin de pouvoir bénéficier du sursis en cause, le débiteur devra présenter sa situation de fortune de manière vraisemblable et crédible, à la lueur des pièces dont il pourra disposer à ce stade. Et on pense bien sûr à des états financiers, fussent-ils provisoires, ou à tout autre document probant. Le tribunal devrait faire preuve tant de souplesse que de rapidité dans sa décision, ce qui est l’objectif au demeurant.

La mesure, comme tout effet de sursis concordataire, ne s’appliquera qu’aux créances nées avant que le sursis débute. Et pas à celles dites « privilégiées » au sens de l’article 219 al. 4 LP, soit notamment les créances de salaire, de prévoyance professionnelle et d’entretien. A tout le moins pour certaines d’entre elles en effet, il y va aussi de la survie des créanciers titulaires de ce genre de créances.

Les effets sur les créances faisant l’objet du sursis COVID-19 sont pratiquement les mêmes que pour celles soumises au sursis ordinaire, soit principalement (l’article 12 de l’Ordonnance détaille précisément lesdits effets) qu’aucune poursuite ne peut être engagée ou continuée contre le débiteur, à l’exception de la poursuite en réalisation de gage immobilier. Le débiteur, de son côté, peut évidemment continuer son activité, mais il ne peut cependant accomplir un quelconque acte qui nuirait aux intérêts de ses créanciers ou en favoriserait certains, sous menace de se voir retirer son droit de disposer ou de se voir prononcer sa faillite séance tenante.

Relevons que le sursis sera publié, prioritairement dans la Feuille officielle suisse du commerce, mais que sauf exception aucun commissaire au sursis, surveillant l’activité du débiteur, ne sera nommé. La raison de la première mesure est d’assurer la transparence vis-à-vis des créanciers, au regard de l’obtention aisée d’un tel sursis. Alors que celle de la seconde est évidemment de limiter la lourdeur administrative et les frais.

Enfin, si le débiteur veut conclure ensuite un concordat, et donc passer tout d’abord par un sursis provisoire, il peut à tout moment transformer le sursis COVID-19 en sursis provisoire. Mais dans un tel cas, la durée maximale du sursis provisoire est diminuée de la moitié de la durée déjà écoulée du sursis COVID-19.

Ainsi qu’annoncé en préambule, les mesures prises nous semblent aller dans la bonne voie et répondre à un réel besoin aussi rapide que pratique. L’avenir dira si l’objectif a été atteint. La question est désormais de savoir comment elles seront mises en œuvre, et notamment comment les tribunaux pourront supporter cette charge de travail supplémentaire, qui devra par définition être exécutée dans l’urgence, notamment en ce qui concerne le volet sursitaire.

François Chevalley, Associé, Responsable du département légal

Nos lettres d’information sont mises à jour après chaque communication du Conseil Fédéral.

Nous sommes à votre entière disposition pour apprécier avec vous la situation comptable, économique et financière de votre entreprise. Nous collaborerons également volontiers si besoin à l’exécution des démarches vous permettant de bénéficier de ces mesures.

[Photo: Daniele Levis]